Le couloir de la Table, à l'Aiguille du Tour, est une classique élégante du massif du Mont Blanc, variée et généreuse sans être bien complexe. Visse et moi avions parlé de cette course déjà depuis quelques temps et le test belledonnien ayant été des plus concluants, le week end de l'été semblait l'opportunité idéale.
Samedi, vers 16h, nous partons du Tour, dans la prairie fleurie sous un relatif caniard. Nous avons décidé de faire de la montagne à l'ancienne, le massif du Mont Blanc version authentique, j'ai nommé la redoutable montée à Albert 1er par la moraine!!
Et ça monte très vite sec, après une apparition fugitive de chevreuils discrets dans les bois, sur un sentier sinueux, face aux Aiguilles Rouges, dominant le hameau:
La traversée qui suit à flanc est assez étroite et un peu aérienne par endroit, puis nous arrivons vers la dite moraine, juste sous les splendides séracs du Tour :
Cette montée, assez désespérante quand on a pas l'habitude (moi je suis rodé au bout de trois fois) nous introduit merveilleusement dans l'univers minéral de la haute montagne du Massif du Mont Blanc, si généreux.
Là c'est une magnifique composition naturelle du glacier du Tour, alias un sorbet de neige sablée au Sirocco avec des séracs bleus qui semblent presque mentholés :
Sous un petit vent frai et très pur, nous arrivons à la citadelle, le refuge Albert 1er, devant le seigneur des lieux, le Chardonnet :
Sur la photo là c'est le refuge d'hiver. Le gros du refuge se devine à sa gauche et c'est la forteresse d'altitude prêt pour accueillir 117 avaleurs des cîmes.
Evidemment le refuge est plein à craquer, ça parle toutes les langues mais l'ambiance reste sympa notamment grâce à une équipe de gardiennage assez dynamique. Coup de bol pour nous, la salle hors-sac est presque déserte!
Le soir c'est bien sur le rituel du coucher de soleil, tout à fait magnifique. Vos deux protagonistes posent devant le Chardonnet :
La lumière devient sublime et le Chardonnet vibre d'un brasier doux :
La Verte, élégante montagne, se pare d'un langoureux voile rose, propice au calme profond :
La nuit fut relativement bonne. On était pas trop serré dans les dortoirs et ça n'a pas été la fête de la musique version ronfleurs. Tant mieux, car il se faut lever plutôt bien en forme à 3h de mat. Un lever tôt, une manière d'anticiper la chaleur annoncée et le jour le plus long de l'année.
Dehors, baigne sur les landes nivéennes un magnifique clair de lune. Nous rejoignons vite le glacier pour sortir la corde, et entrer dans l'abside d'un cathédrale gothique géante. Les frontales sont à peine utiles dans cette lumière d'opale.
Nous atteignons assez rapidement le pied du couloir, à l'aube, encore lente et timide. C'est l'heure bleue...et le voile violacé sur l'Aiguille d'Argentière et l'Aiguille du Chardonnet :
Voilà le couloir, il est assez raide par endroit mais aussi assez court, encastré dans deux bastions de granit assez fracturés :
L'aube se profile sur le Mont Blanc et une rumeur rose fait descendre le voile bleu à l'horizon :
Nous montons assez efficacement dans le couloir qui est en assez bonne condition.
Alors que nous approchons de la moitié, un immense brasier rose vient illuminer d'un coup le Mont Blanc, l'Aiguille Verte, et le Chardonnet.
Le brasier descend à une vitesse fulgurante :
L'émerveillement de ce spectacle nous comble. Le bonheur est indicible.
Nous arrivons vite à la sortie du couloir qui est presque confortable, pourrait-on dire. Derrière nous la fameuse "Table" qui est visible de la vallée et qui a donné le nom au couloir :
Je sors mes sangles pour entamer l'arête. La progression entre des grands feuillets de granits imbriqués et des pentes mixtes encore enneigées, est ludique et assez esthétique. Ca c'est la croix de l'antécime visible depuis la vallée :
La vue vers la Suisse, vallée du Rhône gagnée bientôt par la lumière:
Le jour se fait de plus en plus radieux sur ce beau massif aux allures d'un cortège de cathédrales terrestres :
L'arête est encore plus belle que prévu et plus longue aussi, et c'est assez emballant, en témoigne ce joli passage :
Nous approchons du sommet, dans une arête qui s'aplanit mais qui devient encore plus étroite, obligeant à des traversées sur les gendarmes, toujours bien protégeables par de beaux becquets. Le granit, si franc, si adhérent, est superbe :
Et nous voilà au sommet, les premiers en haut ce jour -merci notre réveil tôt- face au Trient et au cirque de Saleina au fond :
En face, sa majesté la Verte, solidement architecturée, et pourtant si fine avec ses lignes de neiges fuyantes :
Les deux summiters perchés à 3542m :
Et bien sur le roi du massif, et des Alpes, le Mont Blanc, à la rondeur douce, avec les aiguilles sombres et tranchantes des Drus devant sur la photo :
En face de nous, assez aérien, le sommet N de l'Aiguille du Tour, bien individualisé :
Les cortèges sur la VN annoncent la couleur!! Outre une cordée très sympa qui nous rejoint par la même voie, arrive très vite les innombrables cordées montant par la VN, au point que ça bouchonne un peu dans les gros blocs de la descente!
Nous voilà au pied du bastion sommital, la rimaye passée :
Devant nous l'immence plateau du Trient, avec le Valais derrière (Grand Combin, Cervin, Dent Blanche, Weisshorn...) et à notre droite le rasoir très fin de l'Aiguille Purtscheller :
En voilà un bienheureux, sous le caniard estival ! :
En face de nous, la "séracante" face Nord de l'Aiguille d'Argentière, assez discrète à contempler:
Nous traversons le cirque vers le Col Supérieur du Tour, en un site assez esthétique, un vrai "pass" au sens germanique du terme :
Il s'agit de descendre la pente pas bien raide derrière pour retrouver le fil du glacier du Tour, sous l'autorité de ce puissant contrefort aux granits fauves :
Nous retrouvons ensuite les grandes espaces blancs :
Arrivant vite vers la fin du parcours glaciaire, ce contre jour sur l'Aiguille du Tour et la Table me saisit :
Il n'est qu'à peine 9h alors que nous venons de finir de traverser le glacier qu'on dirait déjà bien irradié d'UV:
Nous profitons au refuge d'un bon picnic confortable. Après c'est malheureusement le moment de descendre, conservant avec nous cette vision étonnante d'un Chardonnet bien blanc, au-delà de pentes de neiges sablées :
Nous décidons de prendre notre temps en descendant lentement le chemin de la moraine, parlant tranquillement de pleins de chose, laissant vivre les instants qui nous restent dans ce beau massif.
Que dire de cette sortie sinon qu'elle va imprimer des images fortes dans nos esprits, un sentiment d'émerveillement qui va nous apporter de la force au quotidien, celui d'avoir été là-haut, d'avoir vu le spectacle de la nature dans une de ses plus fortes expressions.
Texte et photos
© Nicolas Strider,